Demain, à Saint-Quentin dernière visite de l'atelier textile Bochard au 2,rue du Général Legrand Girarde, les métiers à tisser doivent fonctionner pour la dernière fois, c'est à 14h30 et c'est gratuit, organisé par Annette Poulet (office du tourisme de Saint-Quentin )
Sans Bochard, le tissage perd à jamais son fil
Publié le vendredi 25 janvier 2013 à 15H00 - AISNE NOUVELLE
Philippe « Don Patillo » Bochard aurait pu vendre des pâtes.
SAINT-QUENTIN - Sans repreneur ni héritier, Philippe Bochard ferme la dernière entreprise de tissage de la cité. Après 115 ans d’existence et de mutation, ce symbole d’une industrie locale autrefois florissante s’éteint définitivement.
Le sens de la trame pointe la fin d'un temps. Celui où le tissage régnait en maître dans la cité des Pastels. « Avec plus de 5 000 métiers à tisser… Mais, maintenant, il n'y en a plus. Les miens sont les derniers… », décompte un soupçon désabusé Philippe Bochard, dernier gérant de l'ultime usine de tissage de la ville : les textiles Bochard
Ultimes commandes. - « Voilà, le dernier calendrier. » Comprendre, un torchon bordeaux maison qu'offre le patron aux visiteurs d'un jour. Il y est cousu en gras « 2013 ». « Et, il n'y aura pas de 2014 », rigole un peu jaune le maître des lieux.
Le linge de maison. C'était la spécialité ici, rue du Général-Legrand-Girarde. Nappes, serviettes, linge d'office ou de toilette. L'amoureux des chiffons de fabrication locale y filait le parfait bonheur. Mais, tout cela est terminé désormais. Enfin presque. Avec ses deux derniers salariés, Philippe Bochard fait des heures sup. « On devait fermer le 31 décembre, se rappelle-t-il. Mais, ça ne s'est pas bien goupillé. Licencier ses salariés coûte très cher [trois viennent d'être limogés, ndlr], même si les miens étaient tous proches de l'âge de la retraite. Et puis, il fallait assurer les dernières commandes. J'espère que tout sera réglé rapidement et que la fermeture se fera en mars ou avril… ou mai… » Et, pourquoi ne pas pousser jusqu'à l'été ? « Rhooof », semble concéder, le regard rieur, le principal intéressé. Pourquoi pas donc…
« Une vie de galères ». - En attendant, il remonte le fil du temps et broie du noir, nostalgique d'une époque révolue. « ça fait mal au ventre de voir les métiers du textile disparaître. Le personnel compétent est devenu introuvable, on ne forme plus personne depuis des années, les écoles ont disparu… De plus, il y a énormément d'embûches dans ce secteur. Et, l'expérience ça ne se transmet pas, ça se vit. Il faut se brûler au moins une fois pour ne pas commettre de nouvelles erreurs… » Référence aux nouveaux arrivants dans le métier qui ne tiennent pas forcément la route, selon lui.
« Pour se lancer dans la fabrication en France, de nos jours, faut pas être bien, pérore-t-il. D'ailleurs trouver un repreneur est mission impossible […] De toute façon, des choses marrantes, on n'en a pas eu des masses dans le textile. » Le tableau est sombre mais c'est aussi la raison pour laquelle aucun de ses trois enfants n'a souhaité prendre la suite. « Oh, surtout pas !, s'emporte-t-il. Pour vivre une vie de galères comme je l'ai vécue ? Parce que j'en ai bavé ! Non, j'ai tout fait pour leur montrer le bourbier que c'était d'avoir une boîte en France… »
Très critique à l'égard des politiques « de droite comme de gauche », il pointe du doigt les « charges trop élevées » qui pèsent sur les entrepreneurs, le passage à la retraite à 60 ans en 1982 « qui a mis une merde phénoménale dans l'industrie » et les 35 heures, « la goutte d'eau qui a fait déborder le vase de l'industrie du textile ». Un sujet sur lequel Philippe Bochard brode encore et encore : « Mon père râlait déjà. Il disait : « On est en porte-à-faux par rapport aux autres pays européens ! » ça s'est même accentué ! »
St-Quentin perd Coco Chanel ? - De fil en aiguille, son entreprise a tout de même prospéré et survécu jusque-là. « Mais, depuis deux ou trois ans, les prix des matières premières ont augmenté. Vu que l'on ne peut pas le répercuter sur la clientèle, il fallait mieux arrêter. » Et, l'heure du repos a irrémédiablement sonné. La retraite est arrivée. A 69 ans, Philippe Bochard la dévisage depuis une dizaine d'années déjà. Et, cette fois, promis, juré, craché, c'est fini. Il arrête les frais. « Je ne fêterai pas mes 70 ans ici », à l'usine. « Je ne sais pas ce que je vais faire, l'avenir le dira », se défile-t-il. Seulement, 50 années de tissu dans le sang ne se détricote pas d'un revers de main. « Il y aura toujours une petite occupation », avoue-t-il. Dans le métier s'entend…
La retraite a également tissé sa toile sur les poussiéreuses machines de la rue du Général-Legrand-Girarde. « Cela fait trois ans qu'elles sont à l'arrêt. Depuis qu'on ne s'occupe plus que des finitions et qu'on fabrique le tissu chez des confrères qui travaillent à façon. Elles finiront à la ferraille. A moins qu'on arrive à les vendre mais elles me paraissent trop vieilles. »
Reste le métier à tisser de Coco Chanel classé « monument historique ». Que va-t-il devenir ? « Je ne sais pas, j'hésite », lâche l'air mystérieux Philippe Bochard. Déménagera-t-il dans sa maison ? « Trop gros ». Dans un musée alors ? « Peut-être ». En France au moins ? « Oui ». Dans la région ? « Hum, pas sûr ». Coco Chanel qui fuirait la cité. Décidément, tout file le camp…